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    Inclusion, accessibilité et illusion sécuritaire

    Marc Glaisen

    L’inclusion des personnes à mobilité réduite, dont je fais partie, est un thème essentiel pour les personnes concernées, mais aussi pour la société en général. En effet, la santé d’une société se reconnaît dans l’attention qu’elle porte aux plus faibles et fragiles de ses membres. Et pour ceux d’entre eux qui se déplacent en chaise roulante, inutile de préciser que leur inclusion/intégration passe notamment par l’accessibilité aux lieux publiques et privés.

    Concernant la Suisse, la loi fédérale pour l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand) va dans le bon sens puisqu’elle « contient des dispositions propres à faciliter la participation des personnes handicapées à la vie sociale ». Ces dispositions légales concernent différents domaines, dont l’accessibilité aux bâtiments, qu’ils soient privés (logements p.ex.) ou publics (écoles, gares, lieux de spectacle, etc.).

    Deux récentes affaires mettent toutefois en évidence le fait que la façon dont cette réalité est abordée demeure parfois problématique dans notre pays. Je pense au scandale crée par le festival « Sion sous les étoiles » l’été dernier. Son directeur a effectivement interdit l’accès au site du festival aux personnes se déplaçant en chaise roulante, à moins qu’elles ne soient parquées sur l’estrade prévue à leur effet. Interdiction leur a donc été faite de se positionner ailleurs sur le site, contrairement à ce qui prévaut dans l’ensemble des autres festivals en plein air de notre pays. L’argument mis en avant par le directeur de « Sion sous les étoiles » est d’ordre sécuritaire : en cas d’évacuation, les personnes en chaise roulante se transformeraient en obstacles et danger pour les autres festivaliers et pour elles-mêmes. A l’inverse, le Paléo festival de Nyon est l’exemple même d’une politique ouverte et intégrative en la matière, les personnes en chaise roulante ayant la possibilité de se déplacer et se positionner sur l’ensemble du site, et de profiter des estrades prévues si elles le désirent. La seconde affaire, je l’ai vécue personnellement et elle a été tranchée récemment par la CEDH . La situation concerne un cinéma genevois m’ayant interdit l’accès de ses salles, au motif que quelques marches d’escalier devaient être franchies pour y accéder. L’argument était sécuritaire ici également : en cas d’évacuation, j’aurais mis les autres spectateurs – et moi-même – en danger selon l’exploitant (une multinationale ayant son siège en France).

    Quel est le lien entre ces deux affaires et le site https://fri-access.ch/ sur lequel nous nous trouvons me direz-vous ? Il est le suivant à mes yeux. Les lieux publics sont de plus en plus adaptés/accessibles aux personnes en chaise roulante. C’est une réalité tout à fait positive allant dans la bonne direction ! Mais quantité de bâtiments demeurent difficilement accessibles, parce que comportant notamment quelques marches d’escaliers. Il est très compliqué effectivement de rendre tous les édifices accessibles en chaise roulante, particulièrement les plus anciens d’entre eux, ceci pour des raisons architecturales et/ou financières. C’est dans l’ordre des choses. La vie en chaise roulante implique de composer avec certains obstacles qui ne disparaîtront pas complètement, quels que soient les efforts de la société pour réduire les contraintes en question. La vie et le monde ne seront jamais un parcours lisse et plane. Je me suis construit et j’ai avancé dans la vie en franchissant des dizaines de milliers de marches d’escaliers au cours de ces trois dernières décennies. C’est en « enjambant » – avec de l’aide – les barrières architecturales concernées que j’ai pris le métro à New-York ou à Paris, que j’ai suivi des cours dans des salles d’Université à priori non–accessibles, que j’ai vu des dizaines de films dans des cinémas comportant quelques marches d’escaliers à Paris, Genève, Fribourg ou encore Neuchâtel, que je me rends chez des amis logeant dans des appartements sans ascenseur, etc.

    Moralité ? Il est essentiel que les efforts d’inclusion se poursuivent dans notre pays, notamment en rendant le plus de lieux et de bâtiments accessibles aux personnes en chaise roulante. Mais il me paraît indispensable également d’éviter de tomber dans le piège de la sécurité absolue qui consisterait à leur interdire l’accès aux lieux qui ne seraient pas rendus totalement accessibles et donc théoriquement sécures. Il y a là à mon sens le risque d’un effet pervers, soit celui de l’illusion du risque zéro que l’on retrouve dans quantité de thèmes sociétaux (santé, science, technique, politiques carcérales, etc.). La vie est une prise de risque constante ; c’est ce qui la rend belle, passionnante, voire excitante parfois, et ceci que l’on se déplace en chaise roulante ou sur ses deux jambes ! J’ai p.ex. encore en mémoire ce magnifique moment passé dans une petite salle de concert bernoise, sise dans une cave de la ville fédérale (voir la photo). Merci à mon ami Jorge de m’y avoir accompagné ! merci aux gérants de n’avoir pas brandi l’argument « sécuritaire », mais au contraire de m’avoir accueilli avec chaleur ! et merci aux musiciens qui m’ont aidé à descendre les marches d’escaliers… sur les fesses !

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